- RaumaNo
Le sauna, mais pourquoi?
Le sauna, ça va au-delà du cliché que l’on peut avoir sur la Finlande. Tous les appartements, même le plus modeste des studios, possèdent leur sauna. Tous, sauf le nôtre, bizarrement. Nous en avons un commun dans le sous-sol de l’immeuble et pouvons y aller le vendredi de 18h à 19h, autant dire jamais. Pour être honnête, je vois assez peu l’intérêt d’un sauna dans un appart de ville surchauffé. Je me demande d’ailleurs le pourcentage de saunas qui servent vraiment de sauna, et ceux qui servent de débarras, de buanderie ou de chambre d’enfant (en ayant pris le soin d’éteindre le thermostat avant). Je connais aussi des familles finlandaises qui y vont tous ensemble, tous à poil, tous les soirs. J’ai prévenu une de mes connaissances finlandaises qui recevait la correspondante française de son fils de 16 ans qu’elle risquait de trouver ça un peu bizarre.
Non, l’expérience sauna se joue plutôt dans les saunas publics. Étrangement, c’est plus une activité d’été que d’hiver. Se mettre dans une pièce chauffée à 80 degrés quand il fait 22 dehors et plonger dans de l’eau à 20 degrés, pourquoi pas. Mais quand il neige dehors et que l’eau gèle, là on parle sérieusement. Pour la vivre, il faut s’enfoncer dans les terres à environ 30 minutes de route de Rauma, au milieu de nulle part. Il y a toujours du monde ici, et je me demande pourquoi puisqu’ils ont tous des saunas chez eux. Est-ce une question de milieu social ? Difficile à dire car ils sont tous en maillots de bain. Oui, un mythe tombe : personne n’est à poil dans les saunas publics, sauf dans les non mixtes, comme ceux de la piscine municipale, où le maillot est carrément interdit « pour des questions d’hygiène ». Alors tout le monde pose ses fesses directement sur le banc, ou bien certains sont assis… sur leurs maillots de bain. Pour l’hygiène on repassera.
Bref, un soir de février, la neige tombe, c’est le soir idéal pour un sauna. Soyons honnête, le début s’apparente plus à un supplice qu’à un réel plaisir :
Dedans : 80 degrés au compteur. Deux gros Finlandais, perchés sur les gradins du haut, ont entrepris un combat de louches. Car le pire au sauna, ce n’est pas le nombre de bûches dans l’âtre, mais le nombre de louches d’eau balancées sur le poêle. Les gars lancent les louches 3 par 3, d’un geste net et précis, sans rien mettre à côté. A chaque louche, c’est un peu comme si toutes les flammes de l’enfer venaient caresser chaque centimètre carré de votre peau. Ça brûle tellement qu’il devient presque impossible de respirer. Deux options quand vous êtres un touriste : descendre le gradin d’un rang ou fuir. Je les soupçonne de vouloir se débarrasser des touristes lors de ces combats. Je ne tiens pas plus de 2 minutes, je sors.
Dehors : les premières secondes sont agréables, surtout avec une petite gorgée de bière fraîche. Les gens sont écarlates, en maillot sous la neige, leurs dos fument, ça m’amuse. Puis au bout d’à peine une minute, je gèle. Je ne suis pas la Reine des neiges moi. Je retourne affronter les flammes de l’enfer en me demandant quelle idée bizarre m’a amenée jusqu’ici.
Au bout de 5/6 sauts de puce entre le sauna et l'extérieur, à me demander ce que je fais là et si la vie avait finalement un sens, je me souviens que mon idée initiale, c’était de me baigner dans l’eau gelée du lac, et que je ne pouvais décemment pas partir sans l’avoir fait. D’un pas décidé, je remonte sur le gradin du haut pour balancer quelques louches sur le foyer, ou plutôt à côté, car n’est pas finlandais qui veut, je reste dans le sauna jusqu’à la limite de l’apoplexie. Quand mon cœur frôle la crise cardiaque, je sors, j’enfile mes tongs, je chante « the eye of the tiger » à tue-tête dans ma tête, je respire à fond tel Jacques Mayol avant immersion, je fais abstraction de la longueur du ponton (mais la vache qu’est-ce qu’il est long !), du vent et de la neige qui me chatouillent le corps. J’enlève mes havaianas, je pose un pied sur l’échelle, puis deux, puis je mets ce qu'il me reste de mon cerveau sur off et je me laisse tomber dans l’eau à 0 degré en poussant des petits cris d’animal blessé. Je sors immédiatement en marchant d’un pas décidé sur ce (trop) long ponton, et là, au bout de quelques secondes, la magie opère. Je comprends enfin ce qui leur plaît tant. Je me sens incroyablement bien, je n’ai plus froid, plus chaud, je me sens légère et vivante. Je reste 5 bonnes minutes comme ça, à regarder la neige tomber, à chanter que le froid est pour moi le prix de la liberté, puis je retourne au sauna, libérée, délivrée. Une fois ce cap franchi, on peut facilement renouveler l’expérience 2/3 fois. Lors de ma dernière baignade, je vois un type dans l’eau, à 3 mètres du bord, immobile tel un rocher. Au bout de plusieurs minutes, le rocher sort de l’eau. Devant ma tête stupéfaite, le gaillard, 2 fois ma taille et 3 fois mon poids, ce qui aide peut-être un peu, m’explique qu’il porte des gants et des chaussons en néoprène, ce qui l’empêche d’avoir froid. Ok, j’ajoute ça sur ma liste de course et la prochaine fois, le rocher, ce sera moi.
